L’appel de la forêt

Il y a des classiques qu’on croise pendant des années sans les lire. On sait vaguement de quoi ça parle, on pourrait résumer vite fait un pitch approximatif. On a vu une adaptation. Mais un jour, on les lit. L’appel de la forêt, ce grand classique dont le héros est… un chien !

Et ce jour là, lorsque j’ai lu l’appel de la forêt, je me suis dit :

Attends… c’est destiné aux enfants, ça ?

l'appel de la foret
Buck se fait mater par un homme cruel

Un peu de contexte.

 

Jack London, l’auteur de l’appel de la forêt, est un type incroyable.

Vraiment incroyable.

Disons que sa vie est à l’image de son oeuvre.

Et il a beaucoup écrit : 23 romans et plus de 200 nouvelles !

Il est d’ailleurs l’un des premiers Américains à faire fortune grâce à sa littérature.

Et quand on voit comment sa vie a commencé, on peut se dire qu’il l’a tout à fait mérité.

Sa mère, enceinte, se fait mettre dehors par son mari car il pense que l’enfant qu’elle attend n’est pas le sien. Alors elle tente de se suicider. Deux fois.

Flora Wellman, s’étant ratée, donne naissance à John Griffith Chaney (notre futur Jack London) le 12 janvier 1876, à San Francisco. Mais elle tombe gravement malade et ne peut s’occuper de son fils.

C’est là qu’entre en scène Jenny Prentiss. Ancienne esclave, elle vient de donner naissance à un mort-né. Elle devient la nourrisse et la figure maternelle de John (notre futur Jack… vous suivez toujours ?).

En septembre de la même année, Flora se marie avec un certain John London, que tout le monde surnomme Jack. Le bébé de Flora adopte le nom et le surnom du papa adoptif (comme ça , c’est plus simple, j’imagine). Et John Chaney devient Jack London.

Evidemment, les rebondissements familiaux ne s’arrêtent pas là. Comme John est marié à Flora, il récupère ses deux filles issues d’un précédent mariage pour les faire vivre en famille (plutôt qu’à l’orphelinat… C’est une autre époque.) Pour fuir une épidemie de diphtérie, la famille élargie quitte San Francisco pour Oakland en 1877.

En 1881, 1883 et 1885, la famille déménage de ferme en ferme.

C’est là que la vie de Jack change.

Il en marre de la vie laborieuse et ne veut pas passer sa vie dans un ranch. Alors, il se balade, exerçant tous les métiers possibles pour un jeune vagabond :

Balayeur de jardins publics, menuisier, agriculteur, éleveur de poulets, mais aussi chasseur de phoque (au Japon et en Sibérie notamment !), ouvrier d’usine, pilleur d’huîtres, patrouilleur maritime, blanchisseur, ou encore chercheur d’or au Klondike.

Ai-je mentionné que Jack est un autodidacte ? Il s’est cultivé par les livres.En 1885 (il a alors 9 ans), il découvre deux œuvres qui le pousseront à écrire : les Contes de l’Alhambra d’Irving et Signa d’Ouida.

Mais raconter toute sa vie serait très long. J’ajouterai juste qu’il a emprunté de l’argent à sa nourrice pour acheter son premier bateau, qu’il était surnommé un temps le prince des pilleurs d’huîtres, qu’il fut un gros buveur dans les cabarets et qu’il a manqué de mourir noyé quand son sloop (le Razzle Dazzle) a pris feu. Ce qui le ramène du bon côté de la loi. Après plusieurs voyages en mer, abreuvé de récits de marins, il rentre pour trouver le foyer familial ruiné.

C’est la panique de 1893.

Comme ça ne l’amuse pas de pelleter du charbon dans une centrale électrique où les collègues se suicident, il s’engage dans l’armée.

Nan, je veux dire, l’armée de Kelly : cent milles chômeurs qui marchent sur Washington. Il devient socialiste en 1894 et se fait arrêter pour vagabondage.

Si, en 1895, il intègre le lycée, c’est pour étudier Karl Marx et Herbert Spencer. Il participe à des débats, rencontre des amis, tombe amoureux. Mais déjà en 1897, Jack s’embarque pour une nouvelle aventure : chercheur d’Or dans le Grand Nord. S’il ne trouve pas d’or, il se marie en 1900 et publie son premier roman la même année. Une première fille naît en 1901, une deuxième en 1902. Et en 1903 paraît… L’appel de la forêt !

(Je m’arrête là, car c’est le contexte autour de ce livre qui m’intéressait. Mais vous pouvez continuer sa biographie passionnante par ici)

 

Jack London
Jack London, 9 ans, avec son chien Rollo

 

L’appel de la forêt

 

Son titre original est The Call of the Wild.

The wild, ce n’est pas évident à traduire : c’est le monde sauvage, naturel ; par opposition au monde civilisé, humain.

Il y a d’ailleurs eu plusieurs titres : L’appel du monde sauvage ou encore l’appel sauvage.

Et c’est bien l’idée du récit : retracer le parcours d’un chien, de sa vie domestique à son retour à une vie sauvage, une vie libre et sans hommes.

 

Attention, ça va spoiler un max ! Si vous souhaitez garder le suspense entier, je vous conseille de lire le livre d’abord. Vous êtes avertis…

 

l'appel de la foret
Les chiens sont voués à travailler jusqu’à l’épuisement

L’histoire s’ouvre sur une mise en situation : d’un côté, la vie simple et routinière de Buck, chien de ferme, « ni chien de chenil, ni chien d’appartement. » De l’autre, le contexte historique : la ruée de l’or en 1897 et donc « les ennuis qui guettaient tous ses frères de race, les chiens aux muscles forts(…) » 

Rapidement, Buck se fait capturer et revendre. Il passe de mains en mains au sein d’un trafic de chiens servant à alimenter le marché des chiens de traîneau. Au cours de son voyage, il se fait mater par la violence (premier passage où je me suis demandé si c’était vraiment pour les enfants). Puis, il se retrouve dans le grand Nord et doit faire face à de nouveaux problèmes : les conditions climatiques, rudes, le manque de nourriture, le travail excessif, la vie en meute, cruelle.

Encore une fois, Buck passe par plusieurs attelages et plusieurs maîtres. Il rencontre différents chiens avec lesquels il apprend à composer. De même pour les hommes qui mènent les expéditions. Buck comprend rapidement que le monde ici est dur, et que les hommes comme les chiens peuvent être cruels. Sont cruels. Les conditions de vie étant si rudes qu’elles ne laissent aucune place aux faibles. L’un des dangers étant non pas les loups, mais les huskies à demi-sauvages qui tentent de dévorer les autres chiens volés comme Buck.

Buck se transforme au fil du récit, il devient de plus en plus fort et impose son autorité aux autres chiens (après un combat qui m’aura fait me demander pour la seconde fois si ce livre était tout public).

Bientôt, il se rebellera contre les hommes mauvais… toujours en ayant peur du gourdin.

Il finira par se faire recueillir de justesse par un homme bon, Thorntorn. Il développera un attachement fort pour cet homme. Mais il ne sera jamais domestiqué totalement : il aura goûté à l’appel de la forêt, et s’il revient fréquemment visiter Thorntorn, il n’a plus de maître…

Il se fait un ami, un « fin loup des bois », qui l’emmène découvrir son univers, fait de chasse, de jeux et de chants.

La fin, tragique, fait se retourner Buck définitivement dans les espaces sauvages, où même les Yeehats (la tribu qui vit dans ces montagnes) le redoutent. Devenu chef des loups, il n’est plus si solitaire, et les Yeehats remarquent que certains jeunes loups ont des lignes brunes sur la tête et une touffe blanche sur la poitrine… 

l'appel de la forêt

 

Mon ressenti sur l’oeuvre

On se retrouve très vite embarqué dans l’histoire. 

D’un point de vue littéraire, c’est bien écrit, à la fois poétique et terre à terre, très dur. En fait, c’est le monde décrit qui intrigue et fascine : le désert blanc, les forêts inexplorées, le danger à chaque instant… 

On découvre avec Buck un monde insoupçonné, de grande beauté mais aussi d’une violence terrible. Puis, on comprend que ce monde n’est pas si rude ou austère. C’est la folie des hommes qui rend la vie si difficile pour les chiens. 

Au long du récit, on frissonne pour Buck et ceux qui l’accompagnent. On ne peut que désirer avec lui son émancipation du joug de l’homme. On s’émerveille avec lui de cet appel, ce désir de partir plus loin, de rompre les attaches et découvrir de nouvelles choses, de nouvelles amitiés.

Mais aussi de réclamer une certaine justice, car Buck fera régner la terreur au sein de son territoire : il volera les Yeehats, tuera leurs chiens, volera leurs provisions et se moquera des guerriers si ceux-ci s’aventurent où ils ne devraient pas.

Alors, pour les enfants ou pas ?

Certes, l’histoire est dure, mais cette dureté fait partie de la vie. Ce livre, qui est une fiction, retrace finalement la vie de bien des chiens. A cette époque et dans ces lieux évidemment, mais ces thèmes sont toujours d’actualité.

Pour moi, la place du chien dans la littérature est très intéressante : elle nous permet de mettre certaines choses et pratiques en perspective. La manière dont on considère les chiens évolue au fil du temps. Et cela révèle des choses sur nous. C’est un autre point de repère. J’en parle également dans cette chronique : le collier rouge.

A la fois récit historique, roman d’aventure, déclaration d’amour pour les chiens et le monde sauvage, L’appel de la forêt est à remettre entre toutes les mains. Encore plus aujourd’hui, alors que nos sociétés se questionnent sur le spécisme, l’impact de l’humain sur cette Terre, le bien-être animal, notre rapport à l’autre, le transport et les coûts (financiers ou non) qu’il implique.

Savoir que Jack London s’est inspiré de son quotidien et de son vécu pour écrire l’oeuvre la rend plus fascinante encore. Toutefois, le livre est très facile à lire et ne nous demande aucun effort pour contextualiser l’histoire ou les personnages.

Je pense toutefois que, si le livre peut être lu par des enfants très jeunes, il sera peut-être l’occasion d’un petit débat (mais ça, c’est valable pour un peu tout en ce qui concerne les jeunes enfants, bien sûr) car certaines scènes sont graphiques. Les combats ou les moments où Buck se fait battre sont décrits, non pas de manière gore -ce n’est pas le propos- mais de manière assez réaliste pour nous faire ressentir de l’empathie. Mais ce sont ces moments qui aideront Buck à se transformer de chien de riche propriétaire un peu paresseux à « un grand, splendide loup, pareil et pourtant différent des autres loups. »

Bref, un beau livre qui parle de quête personnelle, de trouver sa vraie nature…

 

Une dernière info, pour la route ?

J’ai beaucoup entendu de personnes demander de quelle race était issu Buck…

Apparemment, c’est important : peut-être pour mieux nous le représenter… 

Et  bien, Buck est un… bâtard !

« Son père Elmo, le grand Saint Bernard » et sa mère « Shep, était de de la race des bergers écossais ». Buck ne pèse que 65 kg ajoute Jack London 😉

Si cette chronique vous a plu et que vous souhaitez en lire une autre, allez par ici !

 

Si vous souhaitez me soumettre une oeuvre qui vous a touché ou qui vous semble importante, envoyez-moi la référence et je me pencherai dessus !

Bonne lectures et bonnes balades avec votre chien, au cœur des bois…

chien

10 Responses

  1. L’Appel de la forêt est pour moi l’un des plus beaux livres qui ait jamais été écrit. Le chemin de Buck de la civilisation vers le monde sauvage, symétriquement opposé à celui de Croc-Blanc qui fait le chemin inverse, est sublimé par l’amour. Et cet amour absolu dont les chiens détiennent le secret amène des moments poignants dans un décor grandiose.
    Merci pour ce bel article.

  2. Merci pour cette belle analyse… très pertinente, très fine. Je constate que tes talents littéraires sont toujours aussi grands. Continue à les développer. Continue à faire découvrir ou re-découvrir des lectures connues ou non. A chaque re-lecture et à chaque époque, on trouve autre chose dans un livre. C’est bien la preuve que l’esprit est « dynamique  » et non « statique ». Pour le moment je ne vois pas parmi mes lectures une à te proposer. Je vais y réfléchir. Mes lectures sont plutôt philosophiques.

  3. Je pense au livre « la grande meute » de Paul Vialar… même si le sujet est en relation avec la chasse à cour, le rapport homme et chien est assez émouvant.

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